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«L’art peut irriter, provoquer et pousser à la réflexion»

Le monde «créatif et imprévisible» de l’art et le monde «cartésien et exact» d’une banque cantonale peuvent-ils coexister? Nous avons posé la question à Katrin Sperry, curatrice indépendante chargée de la gestion de quelque 2000 œuvres d’art et de leur installation sur les nouveaux sites de la BCBE.

Madame Sperry, un certain nombre d’idées reçues circule sur l’art et le monde bancaire. Personnellement, j’associe le monde de l’art à l’expression d’une liberté absolue, à l’ouverture, mais aussi au chaos. Est-ce compatible avec une banque? 

Selon moi, oui, à tous points de vue. Le monde des artistes est certes libre, ouvert, voire chaotique, mais n’oublions pas que la création artistique est aussi un dur labeur. De plus, l’art a également une dimension matérielle et peut être un investissement. Autrefois, les banques acceptaient même les œuvres d’art directement en paiement, notamment en remboursement de crédits. Par ailleurs, pour les conseillères et conseillers en placement, l’art est, tout comme l’or, un «actif alternatif» permettant de diversifier une fortune. À la BCBE, l’art n’a pas du tout cette fonction et c’est un choix assumé.

Quel est alors son rôle?

En tant que banque cantonale, nous nous efforçons de promouvoir la scène artistique suisse et celle de notre espace économique. Nous conférons une identité propre à nos sites réaménagés en sélectionnant minutieusement les œuvres d’art qui y sont exposées. Nous les voyons comme une marque d’estime à l’égard de notre personnel et de notre clientèle. Nous disposons actuellement de plus de 2000 œuvres, en plus d’une série de créations intégrées dans l’architecture. Les formats sont variés, allant d’œuvres de très petite taille à des créations d’environ trois mètres de haut, telles que la gravure sur bois de Franz Gertsch exposée dans le site de la Place Fédérale. Les prix de ces œuvres oscillent entre quelques centaines de francs et plusieurs centaines de milliers de francs.  

La curatrice confère une identité propre aux sites de la BCBE en sélectionnant soigneusement les œuvres d’art qui y sont exposées, telles que la gravure sur bois de Franz Gertsch à la Place Fédérale.

Franz Gertsch a réalisé des gravures sur bois qu’il est difficile de distinguer d’une photographie. Cet amour du détail force l’admiration. À l’inverse, on entend parfois dire les gens qui regardent un carré rouge sur un fond blanc qu’ils pourraient en faire autant. L’art est-il une question de «savoir-faire»? 

Contrairement à ce que le mot suggère, je ne pense pas que ce soit le cas. L’art est une forme d’expression très personnelle. À travers leurs œuvres, les artistes expriment une idée, dévoilent leurs états d’âme ou nous livrent leur regard sur le monde, qui peut aussi tout à fait être politique ou critique. Ils s’intéressent notamment aux questions du travail (ou des conditions de travail), du rôle de la famille, de la guerre et de la paix, de la prospérité et de la pauvreté. Ce sont des sujets de société. Le «savoir-faire» joue clairement aussi un rôle dans la mesure où la création artistique requiert un concept et une certaine habileté manuelle. De plus, la plupart des artistes ont étudié pendant de longues années. Mais la qualité d’une œuvre ne tient pas qu’à cela.

À quoi tient-elle donc?

Peut-être au fait que l’art a un impact qui dépasse celui de l’artiste: une œuvre peut procurer de la joie sans qu’il ne soit nécessaire d’en connaître la raison. En quelques secondes, elle peut susciter une émotion qui persistera des heures, voire des jours durant. L’art peut nous inciter à réfléchir en tant que société, nous ouvrir de nouveaux horizons ou remettre en cause des valeurs profondément ancrées. Il peut aussi nous apporter de nouveaux modes de pensée qui changent soudainement notre regard sur certaines questions. L’art peut et doit irriter, provoquer et peut-être même susciter l’indignation du public. Il peut ainsi mettre certains sujets sur le devant de la scène et nous amener à nous interroger sur ce qui est important à nos yeux dans ce monde.  

«En quelques secondes, l’art peut susciter une émotion qui persistera des heures, voire des jours durant», affirme Katrin Sperry.

Cela vous est-il déjà arrivé? 

Cela m’arrive sans cesse. Le vestibule de la salle des coffres du site de Bienne, par exemple, abrite deux grandes installations spécifiques. L’une d’elles est signée Beatrix Sitter-Liver, une artiste bernoise née en 1938. À première vue, il ne s’agit que de matériaux organiques et d’objets du quotidien présentés par l’artiste dans une vitrine en verre. Des choses auxquelles nous accordons peu de valeur dans notre vie de tous les jours. Toutefois, je trouve tout à fait passionnant de trouver une telle œuvre dans une banque, et tout particulièrement dans le vestibule de la salle des coffres. On s’attend en effet à y trouver autre chose. À travers son œuvre, Madame Sitter-Liver s’interroge sur la notion de «valeur»: pourquoi les choses en ont-elles une et qui la détermine? La valeur d’un billet de banque n’est-elle qu’une projection? De telles questions peuvent aussi surgir quand la BCBE achète une œuvre, typiquement au moment du transfert et de l’échange. La valeur des objets varie cependant dans le temps et en fonction du contexte. L’œuvre de Beatrix Sitter-Liver incite donc à la réflexion de manière aussi plurielle que ludique.

Comment devient-on curatrice à la BCBE?

J’ai obtenu un master en sciences de la culture avant de travailler comme curatrice dans diverses institutions. Je recevais de plus en plus de mandats, alors je me suis laissé tenter par une activité indépendante. À la BCBE, j’ai un mandat à temps partiel, mon taux d’occupation oscillant entre 20% et 30%. Cela m’a particulièrement intéressée parce que le monde de la banque est assez éloigné de celui de l’art. Il suit une logique très différente, mais on y trouve tout autant de personnes potentiellement intéressées par l’art. 

La curatrice Katrin Sperry au cœur d’une installation artistique dans le vestibule de la salle des coffres du site de la BCBE à Bienne.

Imaginons que je veuille investir mon épargne. Je me rends à la BCBE à la Place Fédérale avec cette intention première et non comme amateur d’art. Comment comptez-vous attirer l’attention des visiteuses et visiteurs sur les nombreuses œuvres d’art exposées sur les sites de la BCBE? 

Les possibilités sont diverses. D’une part, il arrive que la clientèle nous interpelle directement sur les œuvres qu’elle découvre dans l’espace de conseil. Il se peut donc que la discussion s’écarte brusquement des questions financières pour en aborder d’autres telles que Dieu et l’état du monde. D’autre part, nous organisons des visites guidées sur certains sites pour les personnes intéressées, clientes ou non. En outre, nous sommes en train de développer une application numérique qui doit permettre aux membres du personnel de s’informer sur les œuvres exposées dans le site sur lequel ils travaillent, et de transmettre ensuite le savoir acquis.

Et si le plaisir des yeux ne me suffisait plus? Pourrais-je me rendre dans un site de la BCBE, acheter l’œuvre de mon choix et repartir avec ma nouvelle acquisition sous le bras?

Non, la BCBE n’est pas un marchand d’art. Ce qui est exposé dans nos sites doit y rester. Une seule exception est prévue une fois par an pour le personnel de la BCBE: peu avant Noël, la banque organise une vente à quai d’un certain nombre d’œuvres conservées dans son entrepôt. Les amatrices et amateurs d’art parmi le personnel peuvent y acquérir des œuvres à des prix allant de 50 francs à 500 francs, que ce soit pour offrir un cadeau de Noël original, embellir leur intérieur ou soutenir des artistes régionaux.

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